10 avril 2025

Tarifs douaniers et guerre commerciale : le décryptage de France Digitale

Cette note de France Digitale a été rédigée en réaction à la hausse des tarifs douaniers début avril, puis à la pause pour négociations annoncée par Donald Trump mercredi 9 avril dans la soirée.

Impact des tarifs douaniers – décryptage

Est-ce que les startups et l’écosystème tech européens sont directement impactés par la hausse des tarifs douaniers ? 

Sauf exception, le changement de tarifs douaniers par l’administration américaine n’impacte pas directement nos startups ni l’écosystème tech européen. Cependant, elles pourraient pâtir indirectement d’un retournement de la situation économique mondiale (inflation, baisse de la consommation, hausse des prix des matières premières, réduction des investissements, récession, etc.) ou des conséquences indirectes d’une riposte européenne si cette riposte était mal calibrée.

Les exceptions: Certains produits peuvent être concernés, comme les dispositifs médicaux (pour lesquels 50% du marché est américain), les produits pharmaceutiques…

16 000 personnes travaillent à Bercy sur le sujet des douanes. Il existe notamment 3 dispositifs pouvant aider les startups à y voir plus clair :

  • le 40 pôles d’actions économiques : info en temps réel sur les enjeux douaniers, diagnostic personnalisé pour chaque entreprise, info sur les différentes opportunités d’export ;
  • Le service Info Douanes Services ;
  • Un guichet va s’ouvrir pour poser des questions et identifier si vos produits sont concernés par la hausse des droits douaniers. Nous mettrons à jour ici le lien dès qu’il sera disponible.

Quel peut être l’impact sur l’économie mondiale ?

Regards croisés avec Lombard Odier (extrait du webinaire avec Samy Chaar, Chef économiste et CIO Suisse et Nannette Hechler-Fayd’herbe, Responsable stratégie d’investissement, recherche et durabilité & CIO EMEA, de Lombard Odier).

La capacité à identifier l’impact de la situation actuelle sur l’éconoime mondiale dépend de plusieurs facteurs :

  • la durée de l’incertitude sur les conditions d’affaires
  • le niveau in fine des tarifs : vont-ils baisser, augmenter ou rester au taux actuel ?
  • quelles politiques compensatoires vont-être mises en œuvre en Europe et dans les autres pays extra-américains ?

Pour Lombard Odier, il est possible d’éviter une récession marquée, si les conditions d’affaires s’améliorent rapidement. Pourquoi ces conditions pourraient s’améliorer ?

  • L’administration américaine est transactionnelle, ils seront prêts à négocier car pro business. À ce titre, la pause pour négociations instaurée par Donald Trump le mercredi 9 avril dans la soirée en est la preuve : à l’heure où nous écrivons cette note, les Etats-Unis ont entamé une phase de négociations en appliquant une pause de 90 jours sur les droits de douane réciproques ;
  • Si des accords sur les tarifs douaniers sont conclus, l’inflation devraient être de 3% pour les US ;
  • Trump est soumis à des forces de rappel qui pourraient infléchir la position de D. Trump: les marchés financiers, la perspective des midterms, risque sur l’emploi aux États-Unis, la communauté des entrepreneurs qui ont permis l’élection de D. Trump.

Cependant, un scénario de risque pourrait se matérialiser si l’incertitude persistait et si la hausse des droits de douane se poursuivait jusqu’à la fin de l’année. Ce contexte pourrait entraîner une inflation dépassant les 4 % aux États-Unis. À l’échelle mondiale, une telle situation rendrait une récession difficilement évitable. On assisterait alors à un gel des investissements, des embauches et des importations, conduisant à une paralysie géopolitique et à une baisse significative de la consommation, en raison des pertes d’emploi.

C’est un appel à adopter une approche plus régionale (moins mondialisée) :

  • En Europe, le principal défi réside dans la mise en œuvre de politiques compensatoires à la hauteur des enjeux. Cela suppose une volonté forte d’investir dans des secteurs stratégiques tels que l’énergie, la défense, la technologie et les infrastructures. Cette crise pourrait ainsi devenir une opportunité de repenser et renforcer le modèle économique européen ;
  • En Chine, la logique est similaire. Les autorités s’efforcent de stabiliser la croissance économique pour compenser les effets négatifs des tensions commerciales.

Et l’impact sur l’économie française ?

La situation budgétaire de la France n’a pas changé : il n’y a pas d’argent magique pour faire face à cette nouvelle donne économique. Il n’y a pas de nouvelle possibilité de “quoiqu’il en coûte”, comme cela avait pu être le cas précédemment.

L’enjeu sera de monitorer l’impact de cette crise sur le taux de croissance, sur le taux d’emploi, et donc l’impact à la fois sur le budget français (collecte de recettes fiscales et sociales) et les entreprises.

 

Les ripostes et réponses possibles de l’Europe

Comprendre les enjeux d’une riposte européenne

La réponse européenne doit intégrer deux dimensions :

  • une première dimension, celle de la riposte directe à la hausse des droits de douane : cette riposte, qui devrait être annoncée par une série d’annonces dans les prochaines semaines, a vocation à être temporaire et réversible, l’enjeu étant de garantir le rétablissement des conditions de libre échange si l’administration de Trump souhaitait désescalader ;
  • une seconde dimension, à plus long terme, qui vise à accélérer sur des positions françaises et européennes de renforcement de l’autonomie stratégique économique et technologique de l’Europe. Cette seconde dimension sur laquelle travaille déjà l’UE (cf. réforme de la commande publique pour instaurer un Buy European Act) pourrait s’accélérer, mais elle doit être décorrélée de la “riposte” (pour ne pas être déconstruite, en cas de retour à la normal).

Suite à nos échanges avec Eric Lombard (Ministre de l’Economie) et Clara Chappaz (Ministre du numérique), nous avons été rassurés sur deux points :

  • Cette réponse doit être européenne, et non pas nationale ;
  • L’agenda numérique européen n’est pas à vendre dans cette négociation : le but est d’aboutir et faire appliquer les réglementations numériques (DMA, DSA, AI Act).

Deux points d’attention :

  • La situation budgétaire de la France n’a pas changé : ne pas s’attendre à un nouveau “quoiqu’il en coûte”. Cependant les institutions bancaires sont sereines sur leur capacité à encaisser la période, les banques européennes pourraient donc être appelées à soutenir temporairement l’économie en apportant des facilités de trésorerie.
  • Les services numériques représentent un excédent commercial américain en Europe de 115 Mds € et la tentation de riposter en appliquant une taxe européenne est forte même si rejetée par la majorité des acteurs économiques.

Les points d’attention de France Digitale

Les startups / investisseurs dans la tech européens vont donc être très attentifs à la riposte européenne.

Pour France Digitale, nous appelons à ce que la riposte :

  • soit constructive et positive pour les entreprises européennes, plutôt que strictement anti-américaine : en d’autres termes, nous appelons à ne pas pas avoir de mesures qui pourraient toucher, par effets de bord directs ou indirects, les entreprises européennes (cf. Taxe GAFAM, taxe sur les services numériques, etc.) ;
  • et apporte des solutions sur le long-terme plutôt qu’à court-terme.

 

Une mauvaise idée serait d’instaurer une taxe sur les services numériques américains / sur les données américaines / sur les enchères publicitaires en ligne, pour les raisons suivantes. On connaît déjà les conséquences de la taxe GAFAM, en Europe : une refacturation immédiate de la taxe sur les utilisateurs (ie. les entreprises européennes). Il est faux de penser que cela n’aura aucune conséquence ni pour le consommateur, ni pour les entreprises :

  • si votre accès au marché (B2C) se fait par des enchères publicitaires (ex: Google Ads / Meta avec Instagram), vous n’avez aujourd’hui aucune autre alternative pour toucher des consommateurs. La proposition d’imputer la taxe sur la réduction des enchères ne peut fonctionner que si tous les acteurs le font, en même temps => or, dans une économie naturellement compétitive, c’est un voeux pieux, et les entreprises européennes qui n’enchèreraient pas (ou moins) ne seraient simplement plus référencées.
  • les entreprises qui ont recours à des services de cloud américain verraient une hausse immédiate de leurs coûts de fonctionnement ; sans possibilité, pour la majorité d’entre elles, d’y échapper.

 

Pour France Digitale, d’autres idées devraient être creusées (dans le cadre d’une réponse à plus long terme, donc hors “riposte”).

1- En profiter pour outiller l’Europe sur une préférence européenne dans la commande publique. On appelle à changer l’approche de la commande publique pour instaurer, enfin, une préférence européenne dans la commande publique, à savoir :

  • non pas à exclure des entreprises américaines de la commande publique américaine ; cette approche nous paraît agressive d’un point de vue politique, facilement réversible, et donc sans effet positif à court et long terme pour les entreprises européennes. Les marchés publics sont des marchés dont l’octroi prend du temps // très différent de la temporalité actuelle.
  • Nous appelons plutôt à engager une vraie réforme de la commande publique avec l’instauration de critères de préférence européenne => démarche plus long terme mais moins agressive et surtout positive pour l’Europe et les entreprises européennes.

2- Rediriger les investissements sous-jacents de l’épargne européenne (assurance-vie, épargne retraite, etc.) vers des secteurs géographiques plus européens et le secteur économique. L’idée serait d’appeler les investisseurs institutionnels (assureurs, mutuelles, banques, caisses de retraite, etc.) à moins investir dans des Bons du Trésor ou le Private Equity US, mais davantage vers du sous-jacent européen. L’effet « massif » de cette redirection des investissements serait plus utile qu’un simple appel à « ne pas investir aux US » pour certaines entreprises françaises.

3- Nous appelons à ne rien lâcher niveau sanctions / enquêtes autour de la mise en oeuvre du DMA. Il est important de maintenir la pression pour établir des conditions de marchés justes, raisonnables et équitables, dans le secteur du numérique.