Avril 2024

Pour un "Competitiveness deal" favorable à l'innovation

Europe

Dans le cadre du Competitiveness Deal discuté par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, le rapport d'Enrico Letta est une bonne base, même si certaines réformes pourraient être approfondies. Pour France Digitale, trois points devraient figurer dans l'accord.

L’Europe se réveille enfin, et prend conscience de la perte de vitesse de son économie, qui intervient malgré la qualité de ses pôles de recherche, de ses universités et de ses entrepreneurs.

A 50 jours des élections européennes, la compétitivité est sur toutes les lèvres. L’ancien président du Conseil italien Enrico Letta vient de publier un rapport sur l’avenir du marché unique et les États membres de l’UE se réunissent pour discuter, lors d’un sommet de deux jours, l’idée d’un Competitiveness Deal visant à renforcer l’économie de l’UE.

Les acteurs que nous représentons – startups, scale-ups et venture capitalists – se félicitent de ce regain d’intérêt pour l’innovation, et appellent à ce qu’elle soit la clef de voûte de ce nouveau Competitiveness Deal, comme évoqué dans le Manifeste de France Digitale pour les élections européennes.

En particulier, nous appelons à ce que le Competitiveness Deal comprennent notamment (i) un soutien fort aux entreprises pour qu’elles se développent à travers du marché unique, (ii) un investissement public européen à la hauteur des ambitions de l’UE et (iii) un effort pour améliorer l’accès aux capitaux privés pour les entreprises innovantes.

Un paquet législatif pour scaler en Europe

« Permettre aux entreprises de l’UE de changer d’échelle au sein du marché unique n’est pas seulement un impératif économique, c’est aussi un impératif stratégique.”  Enrico Letta

Les entreprises européennes souffrent cruellement de leur taille limitée par rapport à leurs homologues américaines et chinoises. Pour améliorer sa compétitivité à l’échelle mondiale, l’Europe doit permettre à ses entreprises de se développer en Europe, à différents stades des chaînes de valeur innovantes, grâce à un paquet législatif « Scaling in Europe ».

Ce paquet devrait inclure la proposition d’Enrico Letta d’un code européen des affaires, créant pour les jeunes pousses européennes un 28e régime pour opérer dans le marché unique, afin de libérer le potentiel du marché intérieur et de ses 450 millions d’habitants. La volonté d’harmoniser les règles au sein de l’UE (sur le droit commercial, l’insolvabilité, la propriété intellectuelle, l’emploi) est soutenue par France Digitale, puisqu’elle est en phase avec notre mission de créer des champions européens. Comme nous l’avons proposé dans notre Manifeste, nous pensons que le code européen des affaires pourrait également harmoniser les régimes de stock-options pour les employés, et permettre des procédures de visa accélérées pour attirer les talents étrangers.

Toutefois, ce 28e régime ne devrait pas être réservé aux PME. Une fois qu’elles sont trop grandes pour ce statut, les entreprises en pleine croissance ne devraient pas être confrontées à un mur administratif alors qu’elles sont encore sur la voie de la croissance et de la rentabilité. Un statut innovant de Societas Europaea, facilement accessible aux start-ups, pourrait être proposé à celles qui se développent sur tout le continent, offrant un meilleur accès aux talents, au financement, aux marchés publics innovants et à des procédures administratives accélérées.

Des discussions sont également en cours, à Bruxelles et dans les États membres, sur le besoin de compétences et de talents, qui sont tout aussi essentiels que le financement lorsqu’il s’agit de se développer en Europe. Malgré les compétences limitées de l’UE dans ce domaine, nous saluons la proposition d’Enrico Letta pour un diplôme européen, la mention du EU Talent Pool et l’appel pour une meilleure coordination des sécurités sociales en Europe. Cependant, le rapport manque de propositions sur la façon de promouvoir les compétences en Europe pour les technologies stratégiques que nous voulons développer. En s’inspirant du Net Zero Industry Act, nous pensons que l’UE pourrait stimuler la création d’académies pour des technologies stratégiques, avec des partenariats public-privé impliquant des universités, des PME, des startups et des grands groupes.

Un plan d’investissement dans les technologies stratégiques à la hauteur des ambitions européennes

« Face à une forte concurrence mondiale, l’UE doit intensifier ses efforts pour développer une stratégie industrielle compétitive, capable de contrecarrer les instruments récemment adoptés par d’autres puissances mondiales, comme l’Inflation Reduction Act américain« . Enrico Letta

L’Union européenne, confrontée à la crise énergétique et à une forte concurrence mondiale, a temporairement autorisé une utilisation flexible des aides d’Etat. L’écosystème français a largement bénéficié de cet assouplissement, puisque la France représente 24 % des aides d’État autorisées en 2022 (deuxième, l’Allemagne compte pour 53%). Comme le souligne le rapport d’Enrico Letta, ces efforts sont nécessaires pour faire face à l’IRA des Etats-Unis – mais restent limités s’ils ne sont pas mis en commun au niveau européen. Nous saluons l’intention du rapport de fixer des objectifs communs européens aux mécanismes d’aides d’État, qui permettraient aux États membres de soutenir leur économie si elle répond aux préoccupations européennes, avec des mesures de conditionnelles similaires et un mécanisme pour contribuer à un pot commun au niveau de l’UE, ainsi que les appels à rendre les processus de demande moins contraignants pour les PME. Une harmonisation plus poussée des procédures d’aides d’État pourrait permettre aux petites entreprises européennes de présenter plus facilement des demandes sur l’ensemble du continent et de diversifier leurs sources de financement.

Le débat sur les aides d’État devrait toutefois être enrichi par un plan européen d’investissement dans les technologies stratégiques, qui viendrait compléter les plans nationaux déjà proposés. Alors que le rapport Letta mentionne l’importance du prochain budget européen (2028-2035), la réticence des États membres à investir davantage dans les technologies stratégiques (comme le montre STEP, la plateforme des technologies stratégiques pour l’Europe) n’appelle pas à un plan d’investissement européen commun, tel que le Fonds européen de souveraineté. Le prochain budget européen devrait également se pencher sur les programmes de recherche et d’innovation, tels que Horizon Europe, qui ne sont pas suffisamment axés sur la commercialisation et aident les chercheurs avec des financements, mais sans information ni incitation à lancer leur innovation sur le marché.

France Digitale a longtemps œuvré pour la mis en place de marchés publics innovants, avec un appel conjoint co-signé par 15 associations de startups pour un Buy European Tech Act publié en juillet 2022. Nous saluons donc la demande du rapport de réduire l’importance du prix dans la sélection des appels d’offre. Les règles européennes en matière de marchés publics datent de 2014 et sont aujourd’hui dépassées, à une époque où les ambitions en matière d’innovation sont vertes et compétitives. Nous soutenons fermement l’idée de passer d’une directive à un règlement en matière de marchés publics, afin de limiter la fragmentation nationale et de faciliter l’accès des startups aux appels d’offres dans les différents marchés nationaux.

L’appel du rapport à un quota minimum de marchés publics d’innovation pour les États membres est également intéressant, car il stimulera l’utilisation de solutions innovantes à travers l’Europe et diversifiera les revenus des startups. Cependant, il n’y a pas de référence à des possibles critères de résilience, bien qu’ils soient déjà prévus dans le règlement sur les industries net-zero. Afin de promouvoir sa solution innovante dans l’ensemble des chaînes de valeur des technologies stratégiques et d’assurer la sécurité économique de l’Europe, les critères de résilience devraient faire partie intégrante d’une nouvelle réglementation sur les marchés publics.

Une Union de l’épargne et de l’investissement pour garantir un financement adéquat de l’innovation

« Alors que l’UE a audacieusement mis en avant une série d’objectifs ambitieux, un défi critique reste à résoudre : le financement de ces aspirations. » Enrico Letta

L’écosystème innovant apprécie que le rapport sur le marché unique reconnaisse la nécessité de stimuler les activités des capitaux privés en Europe, en particulier dans la lignée des récents appels à l’approfondissement de l’Union des marchés de capitaux (UMC). L’observation d’Enrico Letta est juste : l’UMC n’a pas tenu ses promesses et les marchés européens manquent toujours de liquidités, ce qui ne permet pas d’exit réussies sur le continent et des investissements importants dans l’innovation. C’est un problème pour les marchés financiers, mais surtout pour la double transition européenne, qui a besoin de 620 milliards d’euros d’investissements par an pour réussir, selon le rapport de M. Letta. Aujourd’hui, une entreprise innovante qui fournit des solutions pour la transition verte ou numérique souveraine de l’UE a plus intérêt à continuer sa croissance sur les places de marché américaines qu’en Europe, ce qui correspond à plus d’investissements, de recrutements et de R&D effectués à l’étranger.

Ainsi, un point d’entrée unique sur les marchés européens des capitaux pour les petites et moyennes entreprises est prometteur, de même qu’une place de marché européenne spécifique aux technologies profondes, avec un « régime prudentiel européen différent (moins défavorable au risque) et une supervision« . La liste des technologies Deep Tech qui bénéficient de cette mesure devrait toutefois être étendue à l’écosystème technologique (cleanteach, plateformes, Saas…), car il s’agit d’acteurs clés de l’autonomie stratégique de l’Europe. En outre, des initiatives privées similaires ont échoué dans le passé et l’UE doit s’assurer que cette nouvelle place de marché soit attrayante pour les investisseurs.

Pour la première fois ces dernières années, les conclusions du Conseil mentionneront la nécessité d’améliorer les conditions de l’investissement institutionnel, de détail et transfrontalier. Les investisseurs institutionnels (fonds de pension et assureurs) sont essentiels pour libérer le potentiel des jeunes pousses européennes, car ils participent largement moins au capital-risque qu’aux États-Unis. Ainsi, aujourd’hui, ce sont les retraités américains qui profitent le plus du succès des startups de l’UE.

Nous saluons donc les solutions concrètes du rapport d’Enrico Letta visant à accroître la participation des investisseurs institutionnels au financement de l’innovation (Une Union de l’épargne et de l’investissement), notamment par la création d’un produit européen d’épargne à long terme à inscription automatique pour les fonds de pension et une meilleure allocation des actifs des assureurs dans des investissements à risque sur mesure. Ces mesures aideront les investisseurs institutionnels à parier sur l’innovation, mais nous devons créer davantage de liens entre ces deux écosystèmes. Nous appelons l’Union européenne à s’inspirer de l’initiative Tibi en France et du Watchstumsfond allemand pour promouvoir les investissements dans les sociétés de capital-risque et approfondir les flux d’investissement durables entre les deux écosystèmes, ce qui profitera aux entreprises non cotées.

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