5 septembre

Pour une politique industrielle européenne de la tech et de l’innovation

Europe

Au delà du Fonds de Compétitivité, le plan d’action de France Digitale pour faire du prochain budget européen un levier de compétitivité pour l’UE

À la suite de l’accord commercial entre l’UE et les États-Unis, et un an après son rapport historique appelant l’Europe à investir 800 milliards d’euros dans la tech et l’innovation pour rivaliser avec les États-Unis et la Chine, Mario Draghi tire une nouvelle sonnette d’alarme. Selon lui, l’UE doit s’adapter à un monde qui n’est plus régi par le libre-échange, mais par de vastes politiques industrielles. Aucun pays européen ne pouvant, seul, développer des technologies stratégiques, l’Europe doit retrouver une « unité d’action » et bâtir une capacité industrielle commune pour faire face aux défis économiques et géopolitiques actuels.

Alors que les institutions européennes ouvrent les discussions sur le budget 2028–2034, l’appel de Draghi résonne avec force. Présenté en juillet 2025 par la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le projet de budget introduit un « Fonds européen de compétitivité ». Pour les entreprises européennes, c’est un signal positif : l’UE est prête à soutenir les technologies locales et à offrir un appui ciblé aux startups et scaleups grâce à davantage de financements et une palette élargie d’outils financiers. Mais l’avertissement de Draghi est sans équivoque : l’argent, à lui seul, ne suffira pas à restaurer la compétitivité de l’Europe.

 

Ce budget européen va mettre les Etats membres et l’Union européenne face à des questions complexes mais primordiales à résoudre, au premier rang desquelles la question d’une politique industrielle commune de la tech et de ’innovation. Ainsi, l’Union européenne va-t-elle réussir à se doter d’une politique industrielle commune dans ces domaines ? En d’autres termes, les Etats membres sont-ils prêts à développer des leviers de compétitivité communs – comme les technologies ou l’innovation – à l’échelle européenne plutôt que nationale, ou à accepter de voir priorisé par l’UE le développement de certaines technologies dans certains Etats membres, pour construire des champions véritablement européens ? Répondre à ces questions nous semble être un pré-réquis essentiel au prochain budget européen, pour que ce dernier puisse porter des effets efficaces pour l’économie européenne. 

En effet, aujourd’hui, l’UE ne dispose que d’une compétence partagée limitée avec les États membres en matière de recherche et d’innovation, et la politique industrielle reste essentiellement nationale. Cette architecture institutionnelle empêche l’UE d’aborder le développement de l’innovation comme une politique économique structurée et coordonnée à l’échelle du continent, et limite donc fortement la capacité à transformer les résultats de la recherche européenne en levier de croissance pour les entreprises. Ce verrou institutionnel a en outre un impact direct sur les moyens de financement disponibles au niveau européen. A titre d’exemple, 90 % des financements publics destinés à la R&D sont gérés de manière autonome et non coordonnée par les États membres. 

 

La stratégie Startup Scale-Up récemment proposée par la Commission appelle aujourd’hui à une coordination ponctuelle, et non systématique, avec les États membres : c’est une première étape mais cela risque de ne pas être suffisant. L’UE a besoin, pour sa compétitivité, d’une politique industrielle coordonnée et renforcée en matière de tech et d’innovation. 

Viendront ensuite les questions autour du budget européen en tant que tel : les Etats membres sont-ils prêts à augmenter leur contribution nette au budget de l’UE ? L’UE peut-elle décider d’augmenter ses ressources propres, quitte à créer de nouvelles taxes à l’échelle européenne ? Un emprunt commun pourrait-il compenser le besoin de financement de la tech et de l’innovation ? Comment créer un effet de levier avec les acteurs privés traditionnels ? 

A l’aune des futurs débats sur le budget européen, et notamment sur le Fonds Européen de Compétitivité, France Digitale propose un plan d’action en deux étapes :

 

Etape 1 – Engager l’Union européenne dans une politique industrielle européenne commune en matière de technologie et d’innovation 

Faire de la tech et de l’innovation un secteur économique à part entière, pour lequel l’UE dispose d’une véritable compétence partagée avec les Etats membres

Revenir sur la logique de redistribution pour attribuer des financements aux projets les plus prometteurs 

Permettre la consolidation des entreprises pour créer des champions européens 

Engager  les acteurs privés traditionnels de l’industrie et de la finance, susceptibles de créer des effets de leviers

→ Introduire une préférence européenne généralisée dans la commande publique

 

Etape 2- Réformer radicalement le budget de l’UE pour mieux financer l’innovation 

Augmenter la part du budget européen dédiée à la tech et à l’innovation

Changer le principe d’allocation des fonds : de la redistribution géographique aux champions européens 

Déléguer la gestion des fonds à des entités indépendantes et expertes

Réformer les appels à projets : du laboratoire au marché

Adapter les outils de financement à toutes les étapes de croissance

Mieux cibler les bénéficiaires : soutenir les vrais innovateurs

Réduire la bureaucratie et redonner du temps aux innovateurs

Ne pas céder aux effets de mode

 

Franchir ces étapes vers plus d’intégration européenne pourrait marquer la fin de 25 années de décrochage face aux États-Unis et enrayer notre perte de compétitivité à l’échelle mondiale. Mais cela suppose des réformes profondes, complexes, aux implications structurelles. Des réformes qui méritent d’être étudiées sérieusement et portées dans le débat public. L’essentiel est justement que ce débat ait lieu — et qu’il ne soit pas écarté d’emblée au motif qu’il serait trop ambitieux ou politiquement inacceptable. L’Europe a déjà su faire preuve d’unité et de créativité dans les moments de crise, en adoptant des mesures inédites. Il est temps d’adopter la même audace pour construire notre avenir technologique.